" D’emblée une musique rythmée m’agresse les oreilles. Des caissons de basses martèlent les murs si forts que j’ai la nette sensation qu’ils vont s’effondrer d’ici peu. Le décor est planté : à ma droite un mec tripatouille les seins d’une blonde, à ma gauche cinq six ombres fument du hasch et, devant moi, un long corridor débouche sur une grande pièce, laquelle est plongée dans une demi-obscurité. On n’y voit guère à plus de trois mètres à cause d’une épaisse fumée. En parti rassuré, j’avance. Jean Claude me suit. La musique monte en régime.
De la vaste pièce, il émane une cacophonie ahurissante d’où rien ne sort d’intelligible. Des silhouettes transpercées de flashs se profilent dans un halo grisâtre: quarante, peut être cinquante discutent à voix fortes. Face à elles plusieurs tables ont été disposées en bon ordre. Sur leur longueur s’étalent côte à côte des jus de fruits, des sirops, des mousseux, des canettes de bière, quelques jattes de sangria, des sodas et des bouteilles d’alcool fort (whisky, gin, vodka, tequila, pastis, martini, rhum, et autres liqueurs) avec tout autour des gobelets en plastique et d’innombrables plats qui débordent de friandises. "
" Le portillon en bois massif se referme en claquant derrière nous. Au bout d’une allée sombre, une demeure plus imposante que d’autres se détache d’une faible clarté. Son jardin s’étage en plusieurs terrasses, toutes réunies par un escalier central à l’instar d’un temple mexicain. Nous montons jusqu’à la dernière terrasse. Une grande véranda s’ouvre. A l’intérieur, de longues tables fraternelles ont été disposées contiguës aux larges baies vitrées de la véranda et beaucoup de personnes sont groupés autour. On dirait qu’elles se connaissent toutes. Julie me place au milieu d’inconnus, plutôt jeunes, à qui je n’ai pas vraiment envie de parler. Je m’assois. Je leur souris en guise d’amabilité. Ils ne me disent rien. Pas un ne me regarde, et les gars continuent leurs discussions entre eux. En faisant un tour d’horizon, j’aperçois Alex attablé à l’opposé d’un bar en bois laqué, largement fendillé par endroits. Quand il me voit, il m’adresse tout de suite de grands signes cabalistiques en agitant les bras et je lui réponds en tendant mon bras aussi haut que possible, comme pour mieux me faire remarquer face à tant d’ignorance. "
" Jean Claude étant parti, Jacques disparu, ou très loin, je rechargeai mes deux gobelets en whisky-coca et descendis dans un entresol bondé et surprenant. La musique était si forte que les murs de la salle en tremblaient. Il y avait partout des jeunes et futurs VRP, çà et là, qui dansaient, et à qui on avait affublé d’un petit bonnet rouge ridicule à l’image du Commandant Cousteau. Je jetai alors des regards fuyants vers eux en me demandant la signification d’un tel accoutrement. Aucune réponse cohérente me venait et ma seule prudence me dictait de ne pas trop m’approcher d’eux (par précaution je rasais les murs.) Je me demandais alors comment j’avais bien pu échouer dans ce lieu dépravé lorsque, soudain, je ressentis des choses étranges qui me terrorisèrent longtemps durant. Pour des raisons inexplicables : les trois gobelets que j’avais remplis deux minutes auparavant en whisky étaient vides ; je ne portais plus les mêmes habits qu’en début de soirée ; je me contorsionnais sans raison particulière pour reproduire – au mieux – une démarche correcte et convaincante ; les formes autours de moi se modifiaient de façon impressionnante et, la plus étrange de toutes, la salle s’était transformée en une sorte d’agrégat moléculaire ressemblant à un vivarium partouzard où, par je ne sais quel prodige, les murs s’étaient transformés en barreaux et faisaient de moi une bête de foire acculée et gémissante. Heureusement pour moi, j’avais imaginé deux minutes auparavant un plan de sortie d’urgence et pus ressortir indemne par cette issue de secours. "
" A peine entré, un monde fou m’entoure, allant et venant un peu partout au milieu de dizaines de tables abondement occupées de larges chopes de bière. La chaleur est étouffante. Au cœur du pub, de nombreux groupes debout soulèvent une immense cacophonie à dominance d’anglais, par où se faufilent cinq ou six serveurs, tantôt aux comptoirs, tantôt dans les allées centrales. Profitant que l’un d’eux me précède, j’emboîte ses pas et le talonne jusqu’au grand comptoir où je trouve, comme par miracle, un haut tabouret libre. En jouant des coudes je m’y installe confortablement. Devant moi, deux barmans essoufflés que je ne connais pas (des bleus, tout neufs, peu rompus aux sarcasmes d’une clientèle impatiente, désagréable) font des va-et-vient incessants entre tous les clients accoudés, servant bière sur bière. Deuxième miracle : l’un des deux barmans se penche vers moi. "
Marc Duboisé.
Monstre du Loch Ness
(Niki de Saint Phalle)